OKRC Rose+Croix

L’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix

Dans les dernières décennies du XIXe siècle, l’Occident est euphorique face aux possibilités immenses offertes par les découvertes scientifiques et le développement de l’industrie. La science et le positivisme semblent triompher et l’homme s’imagine que le modernisme va lui apporter bonheur et progrès continus. Pourtant, cette fin du XIXe siècle est aussi marquée par le renouveau de l’occultisme, mouvement souhaitant restaurer la sagesse antique, tout en aspirant, à l’instar d’un Papus, à en faire une science égale à celles professées dans les universités. Cette période fut donc propice à l’éclosion de nombre de sociétés secrètes. Parmi celles-ci, se distingue incontestablement l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix, fondé par Stanislas de Guaita, « l’un des maillons les plus brillants de la chaîne magique des fils d’Hermès en occident ».

I) Origine et fondation de l’Ordre

A) Origine

Le renouveau de l’occultisme dans la deuxième moitié du XIXe siècle et la permanence du prestige de la Rose+Croix furent les éléments principaux qui permirent la fondation de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix.

1) Le renouveau de l’occultisme 

Le terme « occulte », au sens de ce qui est « non saisi ou non saisissable par l’esprit, au-delà de l’entendement ou du savoir ordinaire » date de 1545. En 1653, le terme s’élargit et englobe les sciences anciennes et médiévales, contenant un savoir ou faisant agir des forces de nature secrète et mystérieuse : magie, alchimie, astrologie, etc. Toutefois, les croyances, les théories et les techniques comprises sous le terme d’occultisme étaient déjà répandues à la fin de l’Antiquité. La magie, la théurgie, l’astrologie et même la nécromancie existaient en Égypte et en Mésopotamie quelque deux mille ans plus tôt. Ces savoirs et leurs pratiques, pourchassés impitoyablement à l’avènement du christianisme, devinrent la « philosophie occulte », dont l’occultisme est le fruit direct. 

Si le mot «occultisme », en tant que tel, apparaît en 1842 dans le Dictionnaire des mots nouveaux de Jean-Baptiste Richard de Radonvilliers, c’est à Éliphas Lévi que l’on doit l’essentiel du contenu de ce terme. Sous son égide, l’occultisme devient une doctrine métaphysique, doublée de rites et de pratiques initiatiques. Ainsi, au sens noble et non galvaudé, l’occultisme est un essai d’explication du monde, de l’homme et de Dieu. Il est une vision de l’univers, une philosophie, une règle de vie. C’est un ensemble de spéculations et d’actions, basé sur la théorie des correspondances, le raisonnement analogique et la connaissance par l’intuition. 

Le mouvement occultiste français naquit véritablement lorsqu’Alphonse-Louis Constant publia, en 1856, sous le nom d’Éliphas Lévi, Dogme et rituel de la Haute Magie. Celui-ci va reprendre le champ des sciences occultes des XVe et XVIe siècles, siècles d’or de la Renaissance. Martines de Pasqually, fondateur de l’ordre de la « Franc-maçonnerie des chevaliers Maçons élus Coëns de l’Univers » à la fin du XVIIIe siècle, le linguiste Fabre d’Olivet, le mathématicien polonais Hoëné-Wronski, avaient rouvert la voie après la rupture du XVIIe siècle, où l’occultisme avait été en partie marginalisé à la suite du développement de la pensée absolutiste, du fanatisme religieux et des débuts du rationalisme.

Ce mouvement connaîtra son apogée entre 1880 et la Première Guerre mondiale. L’occultisme entre alors en opposition à la “modernité” de l’époque, à laquelle il reproche d’avoir choisi le matérialisme et le rationalisme aux dépens de la spiritualité. Précision importante : pendant cette période, le mot occultisme sera souvent utilisé en lieu et place d’ésotérisme, avant que n’apparaisse la distinction guénonienne entre ésotérisme et occultisme. Mais cette différenciation s’est en partie estompée de nos jours. Ainsi, la séparation entre l’occultisme, les sciences traditionnelles comme la magie, l’alchimie, l’astrologie et la tradition ésotérique elle-même est aujourd’hui moins accentuée.

La forme la plus pure, la plus profonde de cette tendance se trouva en France, alors qu’auparavant la philosophie occulte avait brillé surtout en Italie, en Allemagne, et en Angleterre. Ce fut plus particulièrement à Paris que se manifestèrent les meilleurs spécialistes de l’occultisme, ceux-ci voulant donner à leur discipline l’objectivité de la recherche scientifique et l’apparat de l’exégèse.

2) La Rose+Croix

Rappelons très brièvement que le vocable « Rose+Croix » est le nom donné à une confrérie d’initiés, de chercheurs spirituels apparus officiellement au XVIIe siècle et dont l’influence perdure jusqu’à nos jours. Les trois manifestes parus anonymement, la Fama Fraternitatis (1614, à Cassel), la Confessio Fraternitatis (1615 à Cassel également) et enfin Les noces Chymiques de Christian Rosenkreutz  (1616 à Francfort) expliquent la pensée et l’organisation de la Rose+Croix. Cette fraternité aurait été fondée par Christian Rosenkreuz, personnage dont l’historicité n’est pas prouvée. Le succès de ces opuscules fut immense et la littérature suscitée sur le sujet considérable. La Rose+Croix se veut l’héritière d’une antique sagesse formant une fraternité secrète, dans laquelle on retrouve l’hermétisme égyptien, le gnosticisme, la kabbale, l’alchimie et l’ésotérisme chrétien.  Les initiés Rose+Croix auraient le pouvoir de se rendre invisibles, d’effectuer des guérisons miraculeuses, de parler toutes les langues. On leur attribua également les dons de télékinésie, de transmutation des métaux, de prolongation de la vie, d’ubiquité, de télépathie, de voyance et de prophétie. Mais le rosicrucianisme est avant tout une quête spirituelle, ayant pour but d’éveiller les vertus de l’âme humaine.

À Paris, en 1623, des affiches placardées firent grand bruit. En effet, elles dévoilèrent que « Nous, députés du collège principal de la Rose+Croix, faisons séjour visible et invisible dans cette ville, par la grâce du Très-Haut vers lequel se tourne le cœur des Justes. Nous montrons et enseignons sans livres ni marques à parler toutes sortes de langue des pays où nous voulons être, pour de tirer les Hommes, nos semblables, d’erreur de mort ». La vague rosicrucienne avait atteint la France. Richelieu, troublé, demanda à son médecin et bibliothécaire, Gabriel Naudé, d’enquêter. Ces recherches seront publiées la même année sous le titre : Instruction à la France sur la vérité de l’histoire des Frères de la Rose+Croix.

Indépendamment du fait de s’interroger sur la véracité ou non de l’existence à cette époque de la confrérie ou de chercher des indices quant à une existence antérieure au XVIIe siècle, nombreux sont les tenants de la Tradition ésotérique occidentale qui se réfèrent au rosicrucianisme du début du XVIIesiècle. Ils y voient une manifestation majeure d’une « philosophia perennis », c’est-à-dire d’une pensée traditionnelle aussi vieille que l’humanité. Ainsi, le rayonnement de la Rose+Croix sera tel que, dans la seconde moitié du XIXsiècle, nombre de sociétés secrètes vont se réclamer du mythe rosicrucien pour dénommer leur organisation. Ce sera le cas de l’Ordre instauré par le poète kabbaliste.

N’oublions pas également, comme le comprit Maurice Barrès, que « de 1880 à 1887, les initiés eurent lieu de s’émouvoir : des sociétés étrangères intriguaient pour dépouiller la France et faire reporter à Londres la direction de l’Occultisme européen ». Par ailleurs, à cette époque, nombre d’occultistes parisiens sont membres de la société théosophique. Mais l’enseignement orientalisant de celle-ci les gênait singulièrement. Papus, véritable « clé de voûte » de l’occultisme de la Belle Époque, souhaitait restaurer la tradition occidentale et faire, comme nous l’avons déjà indiqué, de l’occultisme une science égale à celles enseignées dans les universités. Il voulut placer cette restauration sous les auspices d’une tradition séculaire : ce sera aussi la tradition rosicrucienne.  

B) Fondation

1) Stanislas de Guaita

Stanislas de Guaita vint au monde au château d’Alteville, propriété familiale située en Lorraine, le 6 avril 1861. Il le quitta le 19 décembre 1897, âgé seulement de 36 ans.

Malgré sa mort prématurée, il eut le privilège d’être considéré de son vivant par ses pairs comme un classique. Il occupa ainsi une place de choix au sein des principaux protagonistes du renouveau de l’occultisme dans les dernières décennies du XIXe siècle parmi Éliphas Lévi, Papus, Sédir, Saint-Yves d’Alveydre, Marc Haven et d’autres.

Issu d’une famille noble d’origine lombarde, il fut l’ami d’enfance et le camarade de classe de Maurice Barrès. À vingt-trois ans, il abandonne sa carrière de poète et décide de se consacrer corps et âme à l’occultisme, notamment après avoir lu Le Vice suprême, premier roman de Péladan, où affleure nombre de thèmes occultes, et les ouvrages d’Éliphas Lévi. À vingt-cinq ans, la publication de son premier ouvrage ésotérique, Au Seuil du mystère, le place d’emblée en chef de file de l’occultisme français. En 1888, il instaure l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix.

Du coup, il se trouva fort impliqué dans les « coulisses » de l’occultisme de la Belle Époque où anathèmes, envoûtements à distance, duels, rivalités entre ordres rosicruciens firent les délices de la chronique parisienne. Le Mage d’Alteville se retrouva ainsi au centre de l’affaire Boullan, véritable « guerre des mages ». Accusé par Huysmans et Jules Bois d’avoir assassiné « à distance » l’abbé Boullan par envoûtement, il se battit en duel avec Jules Bois. La « guerre des deux roses », consécutive à sa brouille avec Péladan lorsque celui-ci créa son Ordre de la Rose+Croix Catholique du Temple et du Graal, le plaça à nouveau sous les feux de la rampe.

Maître incontestable de l’occultisme durant sa brève existence, Stanislas de Guaita fut également un grand amateur de livres anciens et un bibliophile averti. Sa bibliothèque occulte, rassemblant 2227 ouvrages et manuscrits enluminés, reste comme l’une des plus importantes jamais rassemblée par un collectionneur privé. Il poussa le plus loin possible sa quête, véritable sacerdoce personnel et émancipé, en observant, à juste titre, que « le Dieu descend vers l’homme de génie, tandis que le Mage monte jusqu’au Dieu. ». Il considérait que « l’occultiste tend à pénétrer l’essence des choses et va déchiffrer à même la grande stèle de la Nature.» Conscient de ses capacités occultes, il déclara sans hésiter : « Moi, je suis d’une puissance inouïe et je fais ce que je veux, sur les fluides et sur les Esprits, par des procédés de haute et de divine magie… ».

Mais, foudroyé en pleine jeunesse, dans des circonstances restées à jamais obscures, ajoutant ainsi le mystère à la légende, le « gentilhomme de l’occulte », personnalité incomparable,  n’eut pas le temps d’achever sa grande trilogie, ses Essais de Sciences Maudites (Le Temple de Satan, La Clé de la Magie Noire et Le Problème du Mal).

2) Instauration de l’Ordre

Pourquoi Stanislas de Guaita ? 

Lorsque parut la première édition de son livre Au Seuil du mystère en 1886, le succès fut immédiat et dépassa largement les prévisions les plus optimistes. Surtout, il plaça d’emblée Stanislas de Guaita en position de chef de file du courant occultiste français, bien qu’il ne fut âgé que de 25 ans. Ce fut un bouleversement dans sa vie, car il n’avait sans doute pas prévu de se retrouver ainsi au devant de la scène. Cet exposé historique, d’un étonnant modernisme, connut bientôt deux rééditions revues et augmentées. Cette œuvre impressionna le public. Matgioï exprimera le sentiment de beaucoup : « Ce fut pour nous une révélation ».  

Devenu le pivot de l’occultisme français, sa possible initiation à une confrérie Rose+Croix entre avril et août 1886 est un élément déterminant quant à la résurgence d’un Ordre rosicrucien. Il est vraisemblable que l’utilisation d’un « nom mystique » dans sa relation épistolaire avec Joséphin Péladan soit le signe de cette initiation. Il s’octroie le nom de Nebo, initié apparaissant dans Curieuse ! le deuxième tome de la Décadence latine, vaste fresque de Péladan. Il utilise désormais ce hiéronyme pour signer sa correspondance avec son ami. Parfois il n’hésite pas à signer Nebo R + C (lettres du 13 août et du 25 septembre 1886). Précisons que Stanislas fut d’abord un grand admirateur et un disciple de Péladan, marqué, comme nous l’avons vu, par la lecture du Vice suprême, qui avait « éveillé le mage qui sommeillait en lui ». Devenus proches, s’écrivant régulièrement, ils échafaudèrent un projet qui leur tenait à cœur : restaurer l’Ordre de la Rose+Croix. Dans une lettre du 27 juin 1885, le poète kabbaliste évoque déjà la mise en place « d’un collège de mages ». Les lettres échangées entre les deux amis semblent donc montrer que Péladan fut l’initiateur rosicrucien de Guaita par l’intermédiaire de Firmin Boissin dit Simon Brugal, journaliste né en 1835, et considéré comme l’un des principaux personnages du cénacle de la Rose+Croix toulousaine. À moins que Boissin ne fut son initiateur direct. Celui-ci était devenu le « grand Convervateur » de l’Ordre de la Rose+Croix de Toulouse créé en 1850 par le vicomte de Lapasse. Ainsi, Stanislas de Guaita signa sa lettre du 12 août 1886 de son nom initiatique Nebo et tutoya Péladan. Or, il le vouvoyait dans son courrier précédent, daté du 1er avril 1886, et signait encore Guaita. On peut donc raisonnablement supposer que le Mage d’Alteville fut initié à la Rose+Croix pendant la période qui s’étend entre ces deux lettres. Dans cette correspondance du 12 août 1886, Guaita emploiera même le terme « Ta créature » et citera Boissin sous le terme Bois + Sin. Le Mage d’Alteville a-t-il été reçu dans l’ordre par Péladan ou par Firmin lui-même ? Nous restons au stade des hypothèses.

Quant à Péladan, il avait déjà pris comme « nom mystique » Mérodack auquel il accolait le titre de Sâr. Précisons que Sâr signifie roi en assyrien et que Mérodack est le dieu chaldéen associé à Jupiter. Joséphin tenait une grande partie de ses connaissances occultes de son frère Adrien. Celui-ci, décédé accidentellement le 29 septembre 1885 à la suite d’une erreur de dosage sur la composition d’un médicament qu’il souhaitait essayer, était aussi lié au milieu de la Rose+Croix de la ville rose. D’ailleurs dans l’hypothèse où il y aurait eu un Grand Maître de la Rose+Croix de Toulouse, le frère de Péladan en fut probablement le dernier. Mais sa mort brutale lui aurait empêché de transmettre la Grande Maîtrise à Joséphin ou quelqu’un d’autre.

C’est donc Boissin qui dut assurer la continuité de l’Ordre. Mais les progrès du poète kabbaliste en sa maîtrise de l’ésotérisme et des sciences occultes furent tels que c’est à lui que revint la charge d’être le premier Grand Maître, alors que Boissin avait demandé au Sâr de rénover la Rose+Croix de Toulouse. D’ailleurs, Péladan avait reconnu implicitement les capacités de son ami, puisque le Mage d’Alteville avait en sa possession un livre posthume de son frère Adrien, l’Anatomie homologique, paru en 1886, préfacé par Joséphin avec l’envoi suivant : « À mon cher ami l’adepte Stanislas de Guaita qui a remplacé un moment pour moi celui qui n’est plus. Son adelphe reconnaissant, Joséphin Péladan. » Il est possible également que Péladan, à ce moment très lié à Stanislas, lui ait laissé cette charge par amitié.

C’est donc sous les auspices du renouveau de l’occultisme, du prestige de la Rose+Croix, de la probable initiation de Stanislas de Guaita, de sa position de chef de file de l’occultisme consécutif à l’engouement provoqué par son livrAu seuil du mystère et de la constitution d’un cénacle informel – véritable tribunal Rose+Croix – dans le but de condamner les pratiques scatologiques de l’abbé Boullan, qu’émergea l’idée de la constitution de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix. 

Ainsi, selon les propres termes du Mage d’Alteville : 

« L’ordre antique de la Rose+Croix était sur le point de s’éteindre, il y a trois ans, quand deux héritiers directs de ses augustes traditions [lui et Péladan] résolurent de le rénover, en l’affermissant sur de nouvelles bases : on reconstitua le Conseil occulte des Douze ; les cadres du 2e degré ne tardèrent à se remplir. Un cercle extérieur fut enfin créé,  et maintenant la vie circule à flots dans l’organisme mystique du colosse rajeuni ». De ce fait, en passant de Toulouse à Paris (1887-1888), la Rose+Croix rénovée devint l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix et adopta sa structure définitive en mai 1888.L’influence prépondérante des œuvres d’Éliphas Lévi dans la pensée de Guaita, l’importance accordée à la Kabbale par des grands rosicruciens (notamment Khunrath) paraît être à l’origine de l’emploi du terme « kabbalistique » dans la dénomination de l’Ordre. 

Soulignons également que l’année 1888 fut particulièrement fertile en événements ésotériquesOutre l’instauration de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix, relevons la fondation de The Hermétic Order of the Golden Dawn ou l’Ordre Hermétique de l’Aube Dorée par trois francs-maçons éminents : William  Wynn Westcott, Samuel Liddell Mac Gregor Mathers et R. William Woodman et ce, sur la base de mystérieux manuscrits rosicruciens codés. Le premier temple « Isis Urania » verra le jour à Londres. Parallèlement Frantz Hartmann fonde l’Ordre de la Rose+Croix ésotérique. Papus et Augustin Chaboseau échangent leur initiation martiniste. Le même Papus fonde la revue L’Initiationen octobre et publie son traité élémentaire de science occulteEnfin François-Charles Barlet (alias Albert Faucheux) quitte la Société Théosophique tandis que parait à Londres la première édition de La Doctrine Secrète d’Helena Petrovna Blavatsky. 

Mentionnons aussi la version de Robert Ambelain, qui considérait que Stanislas de Guaita tenait sa filiation des rosicruciens anglais. Pour lui, et s’appuyant sur le témoignage d’Augustin Chaboseau et la documentation de Victor-Émile Michelet, lorsqu’Éliphas Lévi se rendit à Londres en 1854, il rencontra des initiés anglais, membres d’antiques fraternités et versant dans la théurgie, en particulier Lord Edward Bulwer-Lytton. Ils étaient, toujours selon Robert Ambelain, les successeurs directs et réguliers, par filiation ininterrompue, des rosicruciens anglais des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. C’est pendant ce séjour que l’ancien diacre réalisa sa célèbre évocation d’Apollonius de Tyane et qu’il reçut sous forme sacramentelle, cette filiation ésotérique rosicrucienne. Éliphas Lévi l’aurait ensuite transmise à l’abbé Lacuria, après son retour en France. Celui-ci l’aurait perpétuée auprès du docteur Adrien Péladan qui l’aurait lui-même transmise à son célèbre frère, le Sâr Péladan et à Guaita. Adrien étant mort en septembre 1885 et Stanislas initié entre avril et août 1886, il apparaît peu probable qu’il reçut cette transmission directement d’Adrien. 

II) Organisation, cursus et évolution de l’Ordre

A) Organisation

Stanislas de Guaita fut nommé Grand Maître dès l’instauration de l’Ordre. Celui-ci était dirigé par un Suprême Conseil de douze membres, dont six devaient rester inconnus, leur rôle consistant à réédifier l’organisation si, pour une cause quelconque, elle venait à être dissoute. Les six premiers membres connus furent donc : Guaita, Péladan, Papus, Barlet, Paul Adam, Julien Legay. Les six autres demeurèrent totalement inconnus au point que nombre d’auteurs émirent des doutes quant à leur existence réelle. Le mystère reste entier. 

Parmi ceux qui, à une époque ou une autre, furent membres du ” Conseil des Douze “, mentionnons A. Gabrol, Henry Thorion, Chaboseau, Victor-Émile Michelet, Paul Sédir, Oswald Wirth, l’abbé Alta, Marc Haven. Tous ces dirigeants devinrent les proches de Guaita ou du moins gravitèrent dans son cercle. La fine fleur des occultistes français s’était regroupée autour du jeune marquis.

Le Suprême Conseil, présidé dès lors par le Mage d’Alteville, comprenait trois chambres : la chambre de Direction (Barlet, Papus), la chambre de Justice (Paul Adam, Julien Lejay et l’abbé Alta) et la chambre d’Administration (Wirth et Chaboseau). Chaque membre y appartenant fut considéré comme un « frère illuminé de la Rose+Croix ». Un règlement particulier organisait la composition du Suprême Conseil ainsi que le mode d’élection et de renouvellement de ses membres. À ces chambres directoriales s’ajoutèrent une chambre dogmatique présidée par Barlet, une chambre de l’esthétique confiée à Péladan jusqu’à son départ et enfin une chambre de la propagande dirigée par Papus.

Grâce à un numéro de la revue de L’Initiation de 1889, on sait que le signe distinctif des membres du Conseil était la première lettre de l’alphabet hébreu Aleph (א). Chaque nouveau membre prêtaitserment d’obéissance aux directeurs du comité supérieur. Sa liberté était conservée au sens où il pouvait quitter la société quand il lui plaisait, sous la seule condition de garder secrets les ordres ou les enseignements reçus. La kabbale dans toutes ses ramifications, l’occultisme en général étaient étudiés dans les deux premiers degrés.

La constitution de l’Ordre stipulait qu’« en apparence, la Rose+Croix est une société patente et dogmatique pour la diffusion de l’Occultisme.

En réalité, c’est une société secrète d’action pour l’exhaussement individuel et réciproque ; la défense des membres qui la composent ; la multiplication de leurs forces vives par réversibilité, la ruine des adeptes de la magie noire ; et enfin la lutte pour révéler à la théologie chrétienne les magnificences ésotériques dont elle est grosse à son insu.

En somme c’est un arbre dont les racines doivent puiser leurs éléments nutritifs dans le sol fertile du premier degré (biologie) ; dont les branches doivent fleurir en fraternité scientifique dans le deuxième degré (théorie) ; et fructifier en œuvres dans le troisième degré (pratique).

Dans la pépinière du premier degré, le conseil des Douze (troisième degré), choisit les membres du second degré. Les membres du deuxième degré (à fortiori, le cas échéant, ceux du troisième) organisent des conférences pour l’enseignement des membres du premier degré dont ils doivent diriger les études. Mais leur rôle principal est d’exécuter les instructions du Conseil des Douze.

Les adeptes du deuxième degré se trouvent ainsi à cheval sur le mur qui sépare le patent de l’Occulte, l’Externe de l’Interne, et la société ouverte, dogmatique, de la société secrète d’action.

Les membres du deuxième degré ont le droit d’adresser des vœux aux Douze, mais individuellement. Réunis, ils ne peuvent ni délibérer, ni prendre des conclusions quelles qu’elles soient, au sujet des instructions reçues des Douze. Les membres du deuxième degré jurent le secret et doivent l’obéissance. Néanmoins, ils sont libres de se retirer en démissionnant : à charge simplement de tenir en gens d’honneur leur serment de discrétion, sur tout ce qu’ils ont pu connaître de nos mystères et de nos délibérations, y compris l’ordre même qui a motivé leur retraite.

Les douze prennent des décisions à l’unanimité des voix, et les membres du deuxième degré en exécutent la teneur. Un seul des douze, opposant son veto formel, suffit à faire repousser un projet et passer, sans discussion, à l’ordre du jour pur et simple. Cependant (et ceci restera secret parmi les Douze) … etc. »

Ces passages ne sont donc que des extraits d’une constitution restée rigoureusement cachée, comme cela est indiqué sans ambiguïté dans les dernières lignes. Le poète kabbaliste le confirme, en sa noticesur l’Ordre de la Rose+Croix, parue dans l’édition de 1890 d’Au Seuil du mystère (et supprimée dans les éditions suivantes…) : une partie de la constitution de l’Ordre est maintenue secrète et les informations précitées ne sont qu’un fragment. Seuls les signataires de ce concordat (ce sont ses propres termes) ont le privilège de connaître la totalité de l’organisation de l’Ordre. 

B) Cursus

L’extrait du règlement précisait que « toute personne désirant entrer dans l’Ordre doit en faire la demande à Monsieur Papus, 29, rue de Trévise, Paris. Une enquête est aussitôt ouverte sur le candidat, d’après les titres fournis par lui-même à l’appui de sa demande et d’après toutes les indications que le Conseil Suprême pourra recueillir. Si cette enquête est favorable, le candidat est convoqué devant le jury d’examen au jour et à l’heure déterminés par le règlement. »

L’Ordre était structuré autour d’une hiérarchie de trois grades : bachelier en kabbale, licencié en kabbale et docteur en kabbale. Tous les grades de l’Ordre étaient acquis à l’examen. Aucune dérogation n’était faite à ce principe. Les trois grades conféraient la dignité de Rose+Croix. 

Le premier examen portait : 

1°) Sur l’histoire générale de la Tradition occidentale, nommément sur l’Ordre de la Rose+Croix et les tentatives d’accaparement dont cet ordre a été l’objet de la part des divers sectarismes ; 

2°) Sur la connaissance des lettres hébraïques, de leur forme et de leur nom.

La satisfaction aux connaissances énoncées dans ce programme donnait au candidat le titre de bachelier et un diplôme spécial lui était délivré.

En cas d’échec à l’examen, l’ajournement était de deux mois. 

Le second examen portait : 

A)

1°) Sur l’histoire générale de la Tradition religieuse au cours des âges, en insistant particulièrement sur l’Unité du dogme à travers la multiplicité des symboles.

2°) Sur la connaissance des mots hébraïques quant à leur constitution, sans insister sur leur sens, non plus que sur les points voyelles.

Cette partie de l’examen était orale, et, en cas de réception, elle était acquise aux candidats.

B) – Outre cette partie orale, un examen écrit portant sur une question philosophique, morale ou mystique devait être subi par le candidat. Deux heures étaient données pour cette composition.

La réception à l’examen donnait le titre de licencié en kabbale et un diplôme spécial était délivré au candidat. 

Le troisième examen consistait en la soutenance d’une thèse avec discussion sur tous les points de la tradition orale. Cette thèse pouvait consister, soit dans une œuvre originale, soit dans la traduction d’un ouvrage ou d’une partie d’un ouvrage ésotérique avec commentaires.    

Comme l’expliqua Papus, à coté des classiques du positivisme, la Rose+Croix créa les classiques de la kabbale : Éliphas Lévi, Hoëné-Wronski, Fabre d’Olivet. Elle mit à l’étude les œuvres des véritables théosophes, Jacob Boehme, Swedenborg, Martines de Pasqually, Saint-Martin. Ainsi, des élèves nombreux et déjà versés dans les sciences et les lettres profanes, ingénieurs, médecins, professeurs, littérateurs, s’affilièrent. Cette floraison d’intellectualité s’imposa vite à toutes les sociétés initiatiques de l’étranger par la publication d’une belle série de thèses de doctorat en kabbale. C’est Guaita qui la dirigeait. Sa prodigieuse érudition lui permettait d’indiquer en toute sûreté les sujets de thèse pour la « plus grande gloire de l’Ordre et de la vieille réputation des écoles initiatiques françaises ». Ainsi, Papus pensait qu’une véritable aristocratie d’intellectuels était créée dans l’initiation grâce à cet Ordre de la Rose+Croix, et qu’« un collège de France de l’ésotérisme » était constitué, dont l’influence s’étendait vite au loin. 

En énumérant quelques sujets de thèses, il est possible de caractériser l’orientation générale de l’Ordre. Voici des exemples extraits de la revue L’Initiation de novembre 1894 : Parvus : Du symbolisme de l’équerre en franc-maçonnerie ; Lézard : La Gnose de Valentin ; Paul Sédir : Urim et Thummim ; Docteur Delezinier : Du sens et du symbolisme du mot Caîn ; Albert Poisson : La monade hiéroglyphique de John Dee ; H. Girgois : La Franc-maçonnerie en Argentine ;  Marc Haven : Une planche de Khunrath ; Paul Sédir : Le système solaire d’après la Kabbale ; Albert Poisson : La vie de John Dee ; Barlet et Lejay : L’Art et l’ésotérisme ; Papus : Isis, son nom et ses mystères ; H. Girgois : L’Occulte chez les aborigènes de l’Amérique du Sud ; H. Château : Le Zohar, traduction française.

C) évolution 

Précisons en premier lieu que l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix attira une majorité des grands occultistes de l’époque. Citons parmi eux,  Paul Adam (1862-1920), Jollivet-Castelot, August Reichel, l’Abbé Alta (Melingé), François Barlet, Marc Haven alias le Docteur Lalande (1868-1926), Edouard Blitz, August Strindberg (1849-1912), Victor Blanchard (Sâr Yesir), Lucien Mauchel (alias Chamuel), Paul Sédir alias Yvon Le Loup (1871-1926), Pierre Augustin Chaboseau, etc. En 1890, l’Ordre revendique « plus d’un millier de membres ».

Indépendamment de la « guerre des deux roses », qui opposa  Guaita et Péladan entre mai 1890 et mars 1893, après la création par le Sâr de l’Ordre de la Rose+Croix Catholique du Temple et du Graal, mais qui n’impacta pas sur l’évolution proprement dite de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croixl’évolution majeure de l’Ordre fut son alliance avec le martinisme. Rappelons succinctement que le martinisme est fondamentalement un « ésotérisme judéo-chrétien ». Si le martinisme, en sa forme moderne, est une école initiatique fondée par Papus, il s’inspire de plusieurs systèmes précédents créés voire codifiés entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle par Martines de Pasqually (1727-1774), Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803). Ainsi, le martinisme peut désigner, en son acception globale, autant le système théurgique de Pasqually, que l’ordre para-maçonnique créé par Willermoz ou le système de la voie interne ou cardiaque de Saint-Martin. Le terme peut s’appliquer également à ceux qui s’inspirent de façon plus générale de Martines de Pasqually ou de Saint-Martin. Pour être rigoureux, il conviendrait d’appliquer le terme de « martinézisme » pour le système de Martines de Pasqually, de « willermozisme » pour la doctrine de Willermoz et de « saint-martinisme » pour la pensée de Saint-Martin ; le terme martiniste s’appliquant à l’ordre créé par Papus. Lorsque que Papus et Augustin Chaboseau (bibliothécaire du Musée Guimet et spécialiste du bouddhisme) s’aperçurent, en 1888, qu’ils avaient chacun une filiation martiniste, ils décidèrent de les échanger et de les fusionner. Après un développement informel, le « Balzac de l’occultisme » officialisa l’existence de l’Ordre martiniste par un manifeste publié en février 1889 dans la revue L’Initiation. Ses statuts furent édités en 1890 et le Suprême Conseil fut constitué en mars 1891. Stanislas de Guaita, Joséphin Péladan, Lucien Chamuel, Paul Sédir, Maurice Barrès et Paul Adam en firent immédiatement partie. Le 5 juillet 1892, l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix s’allia au martinisme par un traité. À cette occasion, le Mage d’Alteville considéra que «le Martinisme et la Rose+Croix constituent deux forces complémentaires, dans toute la portée scientifique du terme.»

L’Ordre devint alors strictement réservé aux martinistes titulaires du grade «S..I.∙.» (Supérieur Inconnu). Pour prétendre au 1er degré, il fallait dorénavant se justifier titulaire du 3e grade martiniste (S.∙.I.∙.). L’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix avait maintenant pour rôle principal de parfaire la formation des martinistes.

Tout affilié Rose+Croix avait donc gravi les trois degrés martinistes. Selon Robert Ambelain, le nombre de membres total ne devait plus dépasser 144 et lorsque ce quota fut atteint, Guaita bloqua le recrutement et ce, de façon définitive. Pourtant, en 1890, l’Ordre revendique, comme déjà indiqué, « plus d’un millier de membres ».

En juin 1895, le jeune marquis décida d’apporter des modifications à son auguste fraternité. Il précisa ainsi que les membres connus et les membres occultes du Suprême Conseil, appartenants seuls au cercle intérieur de l’Ordre, avaient seuls droit au titre traditionnel de Frères Illuminés de la Rose+Croix. Quant aux titulaires des grades de bachelier, licencié et docteur en Kabbale, ils ne pouvaient, conformément à la lettre des diplômes, se prévaloir que du titre de membres du cercle extérieur de la Rose+Croix. Le 1er juillet 1895, Guaita supprima définitivement les examens par correspondance et il les instaura annuellement à Paris.

D) L’Ordre après la mort du Mage d’Alteville 

Après le décès de Stanislas de Guaita le 19 décembre 1897 (soit neuf ans après la rénovation de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix), Barlet fut élu en janvier 1898 par le Suprême Conseil mais n’exerça jamais sa fonction. L’Ordre tomba alors plus ou moins en sommeil. Papus, exerçant une domination de fait, en recueillit alors la direction jusqu’à la Première Guerre mondiale en 1914, mais sans grand succès. En effet, Papus privilégiait le martinisme. En conséquence, l’Ordre ou du moins sa manifestation extérieure, fut plus ou moins absorbé par la branche martiniste. Teder prit la suite en octobre 1916, après la mort de Papus, jusqu’à la sienne en 1918. 

Après ces trois Grands Maîtres, il devient difficile d’établir une succession suite aux divisions apparues après la nomination de Jean Bricaud à la tête de l’Ordre Martiniste. En effet, s’opposant à la maçonnisation de l’Ordre voulu par Bricaud, Victor Blanchard fondaen 1920, l’Ordre Martiniste Synarchique et Chaboseau créa l’Ordre Martiniste Traditionnel. Le titre de Grand Maître de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix se serait donc transmis (soit en filiation directe, soit parallèlement en suivant les méandres et soubresauts des différents Ordres Martinistes) à de hautes personnalités ésotériques du martinisme ou de la franc-maçonnerie égyptienne, notamment Lucien Chamuel, Victor Blanchard, Pierre Augustin Chaboseau et Georges Bogé de Lagrèze.

E) Le réveil de l’Ordre par Robert Ambelain.

Rappelons que Robert Ambelain reçut, en 1945, de Georges Bogé de Lagrèze l’initiation particulière dite des Rose+croix d’Orient, que ce compagnon de Papus avait lui-même reçue au Caire, vraisemblablement des mains de Dimitri Sémélas, quelque trente ans plus tôt. Mais Lagrèze lui légua également, dans une lettre de 1946, l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix. Robert Ambelain leréveilla officiellement en décembre 1957, et, sous son égide, publia La magie sacrée d’Abramelin le mage, en 1959. 

En sa lettre du 21 juillet 1957, il énonce les fondements de l’Ordre, formé de quatre grades, dont le dernier est secret. Il révèle notamment que : 

« L’examen de l’état des Sciences Ésotériques à notre époque, de leurs moyens de perpétuation et de diffusion, du recrutement et du rassemblement de leurs adeptes, mène à certaines constatations assez inquiétantes quant à leur avenir, s’il n’y est remédié à temps.

Tout d’abord, à l’exception des revues d’Astrologie destinées au grand public, il n’en existe plus aucune qui soit spécialisée dans les études particulières relevant des trois Sciences-Mères : Astrologie, Magie, Alchimie, ni de leurs dérivées : Géomancie, Cataptromancie, etc.

Sur le plan des nombreuses organisations Initiatiques, il en est de même. Toutes sont peu ou prou rattachées à des courants mystiques issus des grandes confessions religieuses contemporaines. Les unes et les autres sont par ailleurs, et plus ou moins officiellement ou officieusement,  hostiles aux dites Sciences Ésotériques.

Il appartenait à l’ORDRE KABBALISTIQUE DE LA ROSE-CROIX, fondé il y aura bientôt un siècle par Stanislas de Guaita, qui en fut le premier Grand-Maître, assisté de PAPUS, BARLET, JOUNET, etc. de reprendre en mains la flamme inextinguible du Savoir Occulte Traditionnel, en totale indépendance.

Après une somnolence de près d’un demi-siècle, consécutive à la mort de PAPUS – son second Grand-Maître, l’ORDRE KABBALISTIQUE DE LA ROSE-CROIX reprend donc ses Travaux et rouvre ses Temples aux meilleurs occultistes contemporains. Dépositaire légal des Sceaux et Archives, propriétaire légal du nom lui-même, son Comité Directeur entend ne transmettre la filiation et l’entrée qu’à des étudiants sincères, valables, libres de toute dogmatique confessionnelle ou mystagogique, et pour lesquels la Quête du Mystère est un des grands objectifs ici-bas. Il ne leur est demandé que la croyance en l’existence du DIEU suprême, et en l’immortalité de l’Âme, toute définition propre leur étant concédée.

Le recrutement ultérieur se fera par examen et par cooptation. Comme autrefois, l’entrée dans l’ORDRE KABBALISTIQUE DE LA ROSE-CROIX n’est justifiée que par la production d’un travail personnel sur la KABBALE, soumis au jugement du Comité Directeur, et l’appartenance à certaine Organisation Initiatique, ainsi qu’à la détention de certains de ses degrés hiérarchiques.

L’ORDRE KABBALISTIQUE DE LA ROSE-CROIX ne comportera que trois catégories d’Études ésotériques pratiques :

A) ALCHIMIE : Psychisme, Alchimie : minérale, spagyrie, biologie ;

B) MAGIE : Psychurgie, Magie des Éléments, Théurgie ;

C) ASTROLOGIE : Naturelle : Généthliaque, Mondiale, Divinatoire, Surnaturelle : Talismanique, Onomantique, Evocationnelle.

Ces trois classes d’études conjointes permettent l’accès à trois degrés, qui sont ceux de l’ancienne ROSE-CROIX :

A) Koroz (Héraut) : Guérisons (hominales, animales, végétales)physiologie occulte et psychisme. Ce,selon les Traditions propres à l’hermétisme alexandrin (antiques Codex), aux Maîtres médiévaux, et aux grands adeptes du 18ème siècle.

B) Rosen Koroz (Prince-Héraut) (Rose-Croix) : Magie mondiale, (équilibre des Éléments naturels, Paix générale, réalisation de la République Universelle prévue par les Rose-Croix, spiritualisme œcuménique). Ce, selon les Maîtres de la Renaissance : H.C. Agrippa, Paracelse, Pierre d’Aban etc. et divers rituels anonymes d’origine hébraïque, propriété de l’ORDRE.

C) Roëh Koroz (Voyant-Héraut) (Réau-Croix) : Pneumatologie, Théurgie, Voyance, Prophétisme raisonné et déductif. Ce, selon les traditions propres à Johan Trithème, Abraham bar-Simon, Eléazar de Worms, John Dee, Martinez de Pasqually, etc. »

De fait, il déclara le 23 décembre 1957 à la préfecture de police de Paris une association portant le nom d’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix, dont le siège social était fixé au 34, rue Saint-Jacques à Paris (Ve arrondissement). Dans le courrier adressé à la préfecture, Robert Ambelain atteste que cette organisation, déjà ancienne, n’a certainement jamais été déclarée comme telle, même après enquête. Il précise également que la préfecture n’a jamais retrouvé trace d’une quelconque déclaration à la fin du XIXsiècle ou au début du XXe siècle. Il révèle que les sceaux, clichés, statuts lui sont parvenus par voie de succession régulière et qu’il va, selon ses propres termes, réveiller cette organisation de façon active avec quelques amis (ce qui tend bien à prouver que l’Ordre était en sommeil). Il avait pourtant affirmé le 30 novembre 1953, en son ouvrage Templiers et Rose+Croix, que « la filiation rosicrucienne issue de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix n’est nullement éteinte, mais elle est exclusivement réservée aux Occultistes se réclamant du christianisme ésotérique et de la kabbale » et qu’elle « se pose en adversaire déclaré de tout occultisme inférieur, qu’il soit professionnel ou charlatanesque, ou réel mais “noir” (magie pratique, sorcellerie, etc.) » L’Ordre, qui n’est pas réservé aux profanes, se doit de rénover et maintenir l’occultisme traditionnel. En effet, son but n’est pas de vulgariser les sciences occultes mais de rassembler et éclaircir les enseignements ésotériques traditionnels. 

Il stipule, en son article 5 des statuts déposés à la préfecture, que l’OKR+C comprend sept sections principales qui sont :

1) Religions comparées, ésotérisme, gnose, kabbale, christianisme.

2) Doctrines orientales : bouddhisme, brahmanisme, islamisme.

3) Alchimie, spagyrie, hermétisme.

4) Astrologie : judiciaire, kabbalistique, géomancie, chiromancie.

5) Développement et étude des facultés psychiques : magnétisme, clairvoyance, clairaudience, extériorisation, etc.

6) Radiesthésie, rabdomancie, pendule.

7) Magie et théurgie, théoriques et appliquées.

Robert Ambelain qui avait choisi et nommé Gérard Kloppel comme successeur pour le rite de Memphis-Misraïmlui transmit également la grande maîtrise de l’Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix.

Gérard Kloppel continua d’utiliser l’épée d’Eliphas Lévi pour les initiations au sien de l’OKR+C.

Arnaud de l’ESTOILE